En 2009, Jennifer Blakeley était enceinte de son premier enfant quand elle a eu des complications qui l’ont laissée partiellement aveugle d'un œil de façon permanente.

 

À l’époque, Mme Blakeley exploitait sa propre entreprise de façon prospère, Alphabet Photography. L’entreprise avait placé ses produits chez des détaillants des deux côtés de la frontière, suscité l’attention des médias à l’échelle de la planète, y compris une vidéo virale, et valu à Mme Blakeley une place durant trois années consécutives dans la liste des entreprises canadiennes ayant connu la plus forte croissance.

 

Lorsque Mme Blakeley en a appris davantage sur son état et sur le fait que sa vue ne reviendrait non seulement pas, mais qu’au contraire elle s’aggraverait, elle a traversé ce qu’elle a appelé « quelques mois très sombres – littéralement ». Son point de vue a changé.

 

« Je me disais : “Attends, ce n’est pas ce que je veux faire de ma vie. Oui, c’est une belle entreprise et j’ai l’impression de m’être réalisée pleinement, mais ce n’est pas là où je veux être”, dit Mme Blakeley. Je pensais qu’il me fallait commencer à faire ce que je voulais avant qu’il soit trop tard. »

 

Elle a commencé à photographier sa fille et à suivre le parcours professionnel qu’elle voulait depuis le début.

 

« Je dirige à temps plein un studio de portraits depuis neuf ans maintenant, en plus d’Alphabet Photography, dit-elle, et chaque jour, j’ai l’impression de réaliser le rêve de la jeune universitaire de 18 ans qui avait une grande vision. »

 

Mme Blakeley a fréquenté la Graceland University, une école d’arts libéraux de l’Iowa. Les étudiants devaient suivre une variété de cours, peu importe leur majeure. Pensant que ce serait un cours rapide et facile pour passer le temps, Mme Blakeley a choisi la photographie pour son crédit d’art.

 

« Dès que j’ai soulevé le vieil appareil photo argentique que l’école m’avait prêté, j’ai su que c’était ce que je devais faire de ma vie », dit-elle. Elle a suivi tous les cours de photographie que l’école offrait. Elle passait tout son temps libre dans la chambre noire de l’université et était la seule étudiante à avoir sa propre clé. Elle a même essayé de modifier sa majeure, mais son père – l’éternel homme d’affaires, selon elle – a insisté pour qu’elle suive le cours dans lequel elle s’était initialement inscrite et qu’elle obtienne son diplôme de psychologie.

 

Au lieu de cela, elle est devenue la photographe par excellence du campus. Les élèves d’art dramatique et les musiciens lui demandaient de les photographier. Cependant, lorsque Mme Blakeley a obtenu son diplôme en 2002, elle n’avait plus facilement accès à une chambre noire. « Mon rêve d’être photographe portraitiste s’est évanoui. »

 

Mme Blakeley avait appris les rudiments de la photographie en développant ses propres pellicules et en imprimant ses propres photos. En snob reconnue de la photographie argentique, elle n’était pas prête à adopter la photographie numérique.

 

Elle est alors retournée aux études plus près de chez elle à Niagara Falls, en Ontario, et a obtenu son diplôme d’études supérieures en ressources humaines. Elle a accepté un poste d’agente de recrutement au casino local.

 

Il a fallu qu’elle rencontre son mari – et son appareil photo numérique EOS Rebel de Canon – pour revoir son matériel.

 

Elle a créé Alphabet Photography tout en apprenant la photographie numérique. La société prend des photos d’éléments architecturaux ou naturels et s’en sert pour épeler des mots. Imaginez les pattes d’une table à pique-nique représentant un A, une fissure dans le trottoir prenant la forme d’un P ou un lampadaire évoquant un R.

Il y a également des aliments sur la table.

 

« J’ai un alphabet complet formé d’aliments – c’était amusant à faire, de dire Mme Blakeley. Le fromage et tout le reste... Je pense que j’ai pris deux kilos et demi pendant que je photographiais cela. Je l’ai fait en deux jours dans ma cuisine. Celle-ci était tout simplement désastreuse. Il y avait de la nourriture partout, mais nous avons eu des provisions pendant quelques semaines. »

 

À mesure que sa société prospérait, Mme Blakeley fixait son objectif uniquement sur des monuments, des objets et d’autres articles axés sur l’alphabet. Sa fille a été son premier sujet de portrait depuis ses études. Comme ses amis commençaient à avoir également des bébés, Mme Blakeley a commencé à les photographier eux aussi. À partir du moment où elle a décidé de faire de la photographie de portrait à temps plein, elle a participé à des ateliers et s’est entraînée sur quiconque le lui permettait. Elle a publié des photos sur les médias sociaux et fait appel à des modèles. Il lui a fallu des années, mais, pour la deuxième fois, elle a créé une entreprise prospère.

 

La vue d’une photo de nouveau-nés sur double page dans une revue sur les célébrités a incité Mme Blakeley à cibler un nouvel auditoire. Elle a dressé une liste des célébrités qui attendaient un enfant et a constitué un portfolio d’anciennes photos d’école.

 

« J’ai envoyé 100 portfolios à des gens. De ces 100 personnes, 99 ne m’ont pas donné de nouvelles. Une seule personne m’a rappelée et c’était Simon Helberg de The Big Bang Theory. » Mme Blakeley s’est envolée pour la Californie afin de photographier sa fille peu de temps après sa naissance. La voisine d’Helberg à ce moment-là, Megan Fox, était enceinte. Mme Blakeley a donné son portfolio au jardinier de l’actrice. « [Fox] a appelé et les choses ont tout simplement évolué, déclare Mme Blakeley. C’était un travail exigeant. C’est du marketing et il faut se faire connaître et se présenter aux gens. »

 

Elle a agrandi sa clientèle de célébrités au fil des années, mais une séance de prise de vues, réalisée il y a 6 ans, occupe une place particulière dans son cœur. Pendant une séance de photographie de maternité pour Ian Ziering, la covedette de l’acteur dans « Beverly Hills 90210 », Luke Perry, est venu sans s’annoncer et s’est immiscé dans chaque photo.

 

« J’ai tellement ri à ce moment-là et je ris encore de cette situation, s’exclame Mme Blakeley. Maintenant, ce moment est encore plus mémorable puisque Luke Perry est tragiquement décédé cette année. Lorsque j’avais 13 ans, c’est à lui que j’ai adressé ma première lettre de jeune admiratrice. Ce fut un honneur d’avoir l’occasion de le rencontrer, même si c’était brièvement. »

 

Les propres enfants de Mme Blakeley – sa fille a maintenant 10 ans et son fils, cinq – sont la principale raison pour laquelle elle voulait refaire de la photographie de portrait. Elle voulait être un modèle pour eux. « Je voulais enseigner à mes enfants à ne pas renoncer, à ne pas laisser quoi que ce soit se mettre en travers de leur route. »

 

Pour Mme Blakeley, ce « quoi que ce soit » était la perte de sa vue. Il lui a fallu des années pour s’adapter à sa nouvelle façon de voir. Elle a dû adapter son style de prise de vues. Pour commencer, elle utilise maintenant son œil non dominant pour regarder à travers l’objectif. « Le plus gros problème est de faire la mise au point et de voir ce qui se passe dans mon appareil photo, dit-elle. J’ai parfois un assistant pour m’assurer que l’image a l’air de ce dont elle doit avoir l’air avant que je commence à photographier. C’est bien d’avoir une paire d’yeux supplémentaire, parce que parfois, lorsque je regarde dans le viseur, je ne vois pas tant que ça. Je peux voir quand l’appareil ne me cache pas la vue, mais, quand je suis derrière l’appareil, j’ai beaucoup de mal à faire la mise au point.       

 

Les indicateurs sonores de son appareil EOS 5D Mark IV l’aident également. « Je m’en remets beaucoup à la mise au point automatique et les signaux sonores sont toujours activés, affirme-t-elle. Ma vision est si mauvaise que, sans elle, je n’arriverais pas à dire si l’image est au point dans la zone de focalisation. »

 

La modification de sa façon de travailler n’a pas changé son attitude. Mme Blakeley n’a jamais été le genre à reculer devant un défi. « Lorsque les gens disent : “Tu ne peux pas”, ça me motive encore plus de leur dire : “Regardez-moi bien”, ajoute-t-elle. C’est vrai depuis que j’ai perdu la vue et la capacité de voir normalement, et aussi en ce qui a trait à l’idée qu’une femme de Niagara Falls, en Ontario, a une liste de célébrités comme clients. Les défis deviennent des obstacles et, quand j’étais enfant, on m’a appris que les obstacles font partie de la vie et qu’il faut donc les surmonter pour avoir plus de plaisir à poursuivre son parcours. »

Trucs du métier


Mme Blakeley a l’habitude de voir les enfants courir partout et mettre son studio en désordre pendant les séances de prise de vues. En fait, elle les incite à le faire – pour voir encore mieux leur véritable personnalité. Ici, elle offre des conseils pour saisir cette émotion naturelle, authentique.